Les élections prévues en Afrique en 2022 n’ont rien d’ordinaire. Avec de multiples élections sensées relancer les processus démocratiques et la gouvernance constitutionnelle, les élections africaines de 2022 seront bien distinctes de ce que le continent a connu ces dernières années. La Libye, la Somalie, le Mali, la Guinée et le Tchad devraient organiser des élections qui ont été retardées ou interrompues par des coups d’État ou des conflits. Les paramètres de ces processus électoraux doivent encore être finalisés et la date à laquelle ils se dérouleront reste incertaine.
Les élections africaines de 2022 seront donc dynamiques et complexes. Étant donné l’autorité de légitimation qu’un processus électoral crédible peut apporter, c’est la manière dont ces élections sont gérées, plus que leurs résultats spécifiques, qui sera importante pour façonner le paysage de gouvernance et de sécurité du continent.
Voici quelques-uns des facteurs clés à surveiller dans chaque contexte et leurs implications pour le développement démocratique et la sécurité de l’Afrique.
Libye
Élections présidentielles, 24 janvier (reportées)
Législatives, 15 février (reportées)
Initialement prévues le 24 décembre 2021, mais reportées à janvier, les élections prévues en Libye sont paralysées par des règles floues régissant le processus, notamment des questions fondamentales sur la loi électorale et sur les personnes autorisées à se présenter. Le processus électoral se déroule également sur une base juridique nébuleuse puisqu’un projet de constitution élaboré en 2017 n’a jamais été approuvé. Par conséquent, alors qu’une forte pression internationale a poussé à la tenue d’élections anticipées dans le but de stabiliser le fragile cessez-le-feu en Libye, le processus ne fait que masquer des lacunes fondamentales quant aux pouvoirs qui seraient accordés à la présidence, au corps législatif, au pouvoir judiciaire, aux entités régionales et à d’autres organes indépendants comme la commission électorale. De même, la Libye ne dispose pas d’un plan précis sur la manière dont les nombreuses milices qui parsèment le paysage sécuritaire seraient intégrées dans une structure de sécurité nationale cohérente.
« Les élections prévues en Libye sont paralysées par des règles floues régissant le processus »
En l’absence d’une plus grande clarté sur les règles du jeu, des élections prématurées risquent de produire un vainqueur qui manque de légitimité et qui n’est pas en mesure de servir d’acteur unificateur dans un paysage politique libyen notoirement fractionné. Pire encore, les tensions liées à la perception d’un scrutin où le vainqueur rafle toute la mise et où un nouveau président n’aurait aucun compte à rendre pourraient déclencher un retour au conflit et à un régime autoritaire. L’absence d’une feuille de route constitutionnelle claire fait écho aux cadres constitutionnels concurrents qui ont caractérisé l’effort précipité et finalement raté de la transition démocratique égyptienne de 2012-2013.
Les difficultés rencontrées par la Libye soulignent que des élections ne peuvent se substituer à un règlement négocié des désaccords et à l’établissement d’un cadre de réconciliation.
L’emblème de cet environnement électoral confus, est le fait que plus de 100 candidats ont déclaré leur intention de se présenter. Parmi eux, notamment, des personnalités très controversées comme l’un des fils de Mouammar Kadhafi, Saif al-Islam Kadhafi, qui recherché par la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité, et Khalifa Haftar, le chef de guerre basé dans l’est de la Libye, qui a assiégé la capitale pendant 18 mois. Parmi les candidats potentiels figurent également Abdulhamid Dabaiba, qui, en tant que Premier ministre par intérim, devrait normalement être empêché de se présenter, et le président du Parlement, Aguila Saleh, un acteur clé des négociations sur le processus électoral et un proche allié de Haftar. Le processus électoral en Libye doit donc surmonter les rivalités politiques, les différences régionales et la polarisation causée par des années de conflit.
Les institutions fragiles de la Libye la rendent également vulnérable à l’exploitation par des acteurs extérieurs qui soutiennent des mandataires et tentent d’orienter le processus dans leur propre intérêt. Il s’agit notamment d’exploiter les richesses pétrolières lucratives de la Libye et sa position stratégique en Méditerranée orientale. Les principaux acteurs sont la Russie, les Émirats arabes unis et l’Égypte, qui se sont unis pour soutenir Haftar et qui sont opposés à l’enracinement de la démocratie dans la région. La Turquie et le Qatar ont appuyé à la fois les efforts de l’ONU et les candidats associés aux Frères musulmans. En outre, des intérêts européens divergents — notamment ceux de la France, de l’Italie et de la Grèce — ont empêché une position européenne unifiée.
La Libye doit également faire face à des campagnes de désinformation parrainées de l’extérieur, notamment par la Russie, qui sèment la confusion, obscurcissent la vérité et accentuent la polarisation. Paradoxalement, il se peut que le large éventail de la concurrence nationale et internationale en Libye serve de forme rudimentaire de contrôle et d’équilibre sur l’usurpation débridée du pouvoir par un individu ou une entité.
Malgré les nombreux défis entourant le processus électoral en Libye, il est important de ne pas oublier les millions de Libyens qui continuent d’aspirer à un gouvernement démocratique. Ils se souviennent de l’autoritarisme, de l’impunité et des violations des droits humains de l’ère Kadhafi et sont déterminés à empêcher la réémergence d’un nouveau despote. Par conséquent, si un véritable processus démocratique est une nouveauté, un grand nombre de Libyens ont retiré leur carte d’électeur, des milliers prévoient de se présenter aux élections parlementaires et beaucoup d’autres ont l’intention de participer et de faire entendre leur voix dans le processus démocratique embryonnaire du pays.
Le renforcement des institutions et de la souveraineté de la Libye, afin que la volonté et les intérêts des Libyens déterminent la trajectoire de ses structures de gouvernance et de ses dirigeants, sera le test décisif de l’efficacité de ces efforts. Par conséquent, la priorité en Libye est peut-être moins la date précise de l’élection que l’authenticité du processus pour y parvenir. Cela peut impliquer des négociations prolongées au cours de l’année, qui, si elles font progresser l’appropriation libyenne, seront bien justifiées.
Mali
Élections présidentielles et législatives, 27 février (reportées)
L’année 2022 sera une année charnière dans les efforts du Mali pour rétablir un régime démocratique après les deux coups d’État menés par le colonel Assimi Goïta en août 2020 et mai 2021. L’échéance électorale du 27 février a été fixée par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) lors de négociations avec la junte en vue de la reprise du pouvoir civil dans ce vaste pays sahélien de 20 millions d’habitants. Goïta, cependant, a de grandes ambitions pour le rôle de l’armée dans le gouvernement malien et s’est fait un devoir de réhabiliter l’image des anciens dirigeants militaires disgraciés tels que Moussa Traoré et Amadou Haya Sanogo, qui avaient géré des périodes ruineuses de l’histoire postindépendance du Mali. Le Mali est donc sur la voie d’un affrontement à fort enjeu autour de visions très différentes de sa trajectoire de gouvernance.
« La menace sécuritaire n’a fait que s’aggraver depuis le coup d’État militaire »
On peut s’attendre à ce que Goïta tente d’ignorer la date limite du 27 février pour les élections, la junte ayant démontré peu d’intérêt pour la préparation de la transition. Au contraire, elle a en effet proposé un processus de transition de cinq ans qui ne s’achèverait donc qu’en 2026. Cette suggestion a été fortement rejetée par la coalition d’opposition et la CEDEAO, ce qui a précipité l’escalade des sanctions à l’encontre de la junte, notamment la fermeture des frontières et la limitation des transactions financières. Si ces mesures sont renforcées par les acteurs démocratiques internationaux, la junte sera encore plus isolée, exposant ainsi son manque de légitimité.
Les questions clés à surveiller au Mali seront donc de savoir comment la CEDEAO augmentera le coût de l’intransigeance de la junte et comment des élections indépendantes seront organisées. Il a été démontré par le passé que la volonté de la CEDEAO de céder aux exigences et aux calendriers de la junte était fondée sur de faux espoirs que cette dernière voulait réellement faciliter une transition. La résolution renforcée de l’organisme régional indique également qu’il reconnaît que s’il tolère la junte au Mali, la norme des coups d’État comme moyen de succession sera légitimée, inspirant d’autres coups d’État sur le continent – un phénomène qui a déjà commencé à prendre forme.
La junte a justifié son coup d’État ainsi que la prolongation du délai de transition qu’elle propose par la menace sécuritaire que représentent les groupes islamistes militants dans les régions du centre et du nord du pays. Cependant, la menace à la sécurité n’a fait que s’aggraver depuis le coup d’État militaire – les événements violents liés aux groupes islamistes militants au Mali ayant augmenté d’un tiers en 2021 par rapport à 2020. Le souci des putschistes de consolider leur prise de pouvoir s’est fait au détriment de la sécurisation des communautés à risque.
Afin de consolider son pouvoir, la junte a subrepticement passé un contrat avec le groupe Wagner pour l’envoi de 1 000 mercenaires russes, pour un coût de 11 millions de dollars par mois. (Sachant que les dépenses militaires annuelles du Mali sont estimées à environ 580 millions de dollars, les paiements à Wagner représentent 23 % des dépenses de défense du Mali ). Bien qu’ils aient été présentés comme un moyen extraordinaire de répondre à une menace sérieuse à la sécurité, les déploiements de Wagner en République centrafricaine, en Libye, au Soudan, au Mozambique, en Syrie et en Ukraine ont servi à promouvoir les intérêts de Moscou et à soutenir leurs alliés plutôt qu’à renforcer la stabilité. Ces accords impliquent aussi souvent d’à accorder à Wagner un accès aux ressources naturelles d’un pays.
« Une autre leçon cruciale … est l’erreur de permettre aux acteurs militaires qui ont pris le pouvoir de manière extra constitutionnelle de diriger le processus de transition vers la démocratie. »
Les motifs intéressés qui sous-tendent cet accord semblent d’autant plus évidents que la junte a refusé d’accepter 2 000 militaires et policiers supplémentaires (sans frais pour le Mali) dans le cadre de la force de maintien de la paix de 17 000 hommes de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).
L’accord avec Wagner expose la vulnérabilité d’une nation face à un leadership non élu et illégitime qui négocie des éléments de la souveraineté nationale dans le but de s’accrocher au pouvoir. Un tel résultat est d’autant plus déplorable qu’une campagne de désinformation d’inspiration russe a contribué à fomenter le mécontentement à l’égard du président Ibrahim Boubacar Keïta et des processus démocratiques au Mali au cours de l’année qui a précédé le coup d’État de 2020.
Parmi les nombreuses leçons à tirer des récents coups d’État au Mali pour le développement de la démocratie en Afrique, deux se détachent en particulier : la première est l’importance de renforcer les institutions indépendantes pour favoriser les autocorrections qui sont le socle des systèmes démocratiques. De nombreux Maliens ont d’abord justifié le coup d’État de 2020 (comme ils l’avaient fait en 2012) par la corruption et l’ineptie présumées du gouvernement démocratiquement élu de Keïta. Pourtant, ces coups d’État n’ont fait qu’éloigner davantage le Mali d’un système fondé sur la constitution, exposant les citoyens aux caprices du dernier acteur militaire au pouvoir. En renforçant les institutions démocratiques indépendantes (telles que le système judiciaire, la commission électorale et les organes de lutte contre la corruption), les Maliens disposeront de moyens plus efficaces pour répondre aux inévitables lacunes qui apparaitront en matière de gouvernance.
Une autre leçon cruciale à tirer du Mali (ainsi que d’autres pays africains qui ont subi des coups d’État) est l’erreur de permettre aux acteurs militaires qui ont pris le pouvoir de manière extra constitutionnelle de diriger le processus de transition vers la démocratie. Ces putschistes ont déjà démontré leur dédain pour les processus démocratiques et sont donc les moins aptes à les rétablir. En outre, tant qu’ils sont reconnus et ont accès aux ressources de l’État, ils sont peu enclins à le faire. Retirer les processus et les calendriers des transitions démocratiques des mains des acteurs militaires et les confier à un organisme indépendant, fondé sur le mérite, est bien plus susceptible de conduire à la restauration souhaitée d’un système démocratique.
Alors que les Maliens envisagent un retour à la démocratie en 2022, ils ont l’avantage de l’expérience. Bien que les efforts précédents du Mali en matière de démocratisation aient été imparfaits, ils fournissent néanmoins des leçons précieuses comme point de départ pour les améliorations et les résiliences à apporter à l’avenir.
Guinée
Élections présidentielles et législatives, mars 2022
La date de mars pour les élections présidentielle en Guinée reflète le calendrier de six mois établi par la CEDEAO suite au coup d’État militaire de septembre 2021. Dirigé par le colonel Mamady Doumbouya, chef d’une unité de forces spéciales de 300 hommes, le coup d’État a déposé le président Alpha Condé, âgé de 83 ans, qui effectuait un troisième mandat controversé. La constitution guinéenne interdisait les troisièmes mandats présidentiels, jusqu’à ce que Condé passe outre ces dispositions en recourant à ce que de nombreux Guinéens considèrent comme des tactiques extralégales et à l’usage de la violence parfois létale contre les manifestants par les forces de sécurité.
Tout en la justifiant comme une réponse légitime au troisième mandat de Condé, la junte militaire n’a cependant toujours pas remis le pouvoir à un gouvernement civil intérimaire. Au contraire, elle a installé Doumbouya comme président par intérim et n’a pris que peu de mesures en vue de la tenue d’élections, semblant s’engager dans une transition pluriannuelle dirigée par les militaires.
Le point central du processus électoral en Guinée sera les négociations avec la CEDEAO pour accélérer le retour d’un régime démocratique dirigé par des civils. Ayant déjà suspendu la Guinée de l’organisme régional et lui ayant imposé des sanctions, la CEDEAO et les acteurs démocratiques internationaux doivent continuer à coordonner leurs actions pour signaler à Doumbouya (et aux autres putschistes potentiels) que sa prise de pouvoir ne sera ni reconnue ni récompensée.
L’affirmation de M. Doumbouya selon laquelle il a besoin de plus de temps pour réviser la constitution et mettre en place des réformes ne tient pas compte du fait que ces changements fondamentaux sont les prérogatives de représentants démocratiquement élus et non d’une junte militaire autoproclamée.
L’ironie du fait que les militaires revendiquent le manteau de la réforme est particulièrement absurde étant donné l’héritage dévastateur des gouvernements militaires en Guinée où ils sont tristement notoires pour leurs violations des droits humains, leur corruption et leur impunité. Quand le pays a organisé ses premières élections démocratiques en 2010, c’est cette mauvaise gouvernance militaire qui avait largement contribué à faire de la Guinée l’un des pays les plus pauvres d’Afrique . En effet, reflétant les cicatrices encore fraîches d’un régime autoritaire, seuls 52 % des Guinéens disent faire confiance à l’armée, selon les derniers sondages Afrobaromètre. En revanche, 77 % des Guinéens soutiennent fermement la démocratie et le même nombre d’entre eux déclarent qu’il n’est pas acceptable que les militaires interviennent et prennent le pouvoir.
« La mauvaise gouvernance militaire a largement contribué à faire de la Guinée l’un des pays les plus pauvres d’Afrique »
Compte tenu de son expérience limitée de la démocratie avant 2010, la Guinée a dépassé les attentes en adoptant les pratiques et les institutions démocratiques au cours de la décennie suivante. Elle a notamment connu des manifestations pacifiques massives et durables de la part de Guinéens opposés aux efforts de Condé pour contourner la constitution afin de rester au pouvoir pour un troisième mandat, et à son incapacité à obtenir l’approbation du parlement pour une révision. La Guinée dispose donc d’une société civile et d’une classe politique actives, capables de mener à bien la transition vers la démocratie en l’absence de direction militaire.
L’expérience de la Guinée rappelle également l’instabilité liée aux troisièmes mandats en Afrique, où les dirigeants qui restent au pouvoir pendant plus de deux mandats sont liés à des niveaux de corruption plus élevés, à une diminution des libertés civiles et à une augmentation des conflits. Il sera donc essentiel d’empêcher de manière proactive les dirigeants de se soustraire à la limitation des mandats pour maintenir des calendriers électoraux réguliers en Afrique et éviter de devoir orchestrer des efforts ad hoc pour rétablir la démocratie.
Somalie
Élections présidentielles et parlementaires, 15 mai (reportées du 31 mars)
Initialement prévu pour décembre 2020, le calendrier électoral de la Somalie a été reporté à plusieurs reprises. L’élection présidentielle indirecte en Somalie, dans laquelle le président Mohamed Abdullahi Mohamed (plus connu sous le nom de Farmaajo) cherche à obtenir un deuxième mandat, devrait se terminer le 31 mars. Il est confronté à une foule de candidats, dont les anciens présidents Sharif Sheikh Ahmed et Hassan Sheikh Mohamud et l’ancien Premier ministre Hassan Ali Khaire.
La Somalie continue de fonctionner selon un système électoral indirect à plusieurs étapes, dans lequel 54 sénateurs sont d’abord élus par 5 assemblées d’État et 275 membres de la Chambre basse du Parlement sont sélectionnés par 27 775 délégués nommés par les anciens des clans. Ensemble, ces sénateurs et parlementaires choisissent ensuite le président parmi une liste de candidats approuvés par la Commission électorale indirecte (CEI).
Le processus de sélection du Sénat s’est achevé en novembre 2021. La sélection des membres de la Chambre basse du Parlement devrait a été achevée le 14 avril. Compte tenu de la politisation inhérente à la sélection des deux organes, les processus sont sujets à l’achat de voix et à d’autres moyens de trafic d’influence, y compris par l’insurrection extrémiste violente, Al Shabaab, et des acteurs externes.
En réponse aux critiques selon lesquelles le processus était manipulé en faveur du président sortant et aux menaces de boycott de l’opposition, le Premier ministre Mohamed Hussein Roble a limogé, pour partialité, sept membres du Comité de règlement des différends. Cela a conduit Farmaajo à tenter de démettre Roble de ses fonctions (ce que seul le Parlement peut faire), laissant planer pendant un temps la perspective d’un conflit ouvert. En outre, les dirigeants des États membres fédéraux (EMF) avaient exprimé leurs ressentiments envers M. Farmaajo pour avoir traîné les pieds et tenté de saper l’intégrité de la CEI, entraînant de multiples retards dans la date des élections. M. Farmaajo a accentué ces soupçons en avril 2021, en proposant une prolongation de deux ans de son mandat, qui avait techniquement pris fin en février 2021.
Les convulsions du processus électoral somalien révèlent les faiblesses des organes de surveillance des élections, tels que la CEI et l’équipe fédérale de mise en œuvre des élections (FEIT), qui ont permis au président sortant de retarder et d’en influencer les procédures. Les ambiguïtés du processus ont de surcroit favorisé la méfiance et l’escalade des tensions. Si la question n’est pas résolue de manière satisfaisante, tout dirigeant issu du processus de sélection manquera de légitimité aux yeux de nombreux Somaliens, ce qui contribuera à l’instabilité. Le processus électoral prolongé a également consommé la majeure partie de l’énergie politique en Somalie pendant plus d’un an, détournant l’attention d’autres priorités gouvernementales, notamment la sécurité.
La seule lueur d’espoir qui résulte de la joute entre le président, le premier ministre et les EMF est que la Somalie est en train de forger, pas à pas, un système de contrôle et d’équilibre sur son pouvoir exécutif et un débat ouvert sur ce qu’implique un processus électoral libre et équitable. Les efforts de réforme doivent s’appuyer sur ce dialogue et pousser à l’institutionnalisation de ces processus. Il s’agit notamment de renforcer l’indépendance de la commission électorale afin qu’elle puisse organiser les élections futures selon un calendrier prédéterminé, d’adopter un processus d’élections directes pour limiter le trafic d’influence inhérent au système actuel, et de définir clairement les rôles et les pouvoirs du gouvernement national vis-à-vis des EMF dans le cadre du système fédéral somalien.
Kenya
Élections présidentielles et législatives, 9 août
Les élections présidentielles au Kenya ont pour thème principal la succession prochaine du président Uhuru Kenyatta, qui tire sa révérence après deux mandats. Les élections représentent donc un point d’inflexion important dans le développement et le renouveau démocratique du Kenya. Malgré les défis posés par les violences ethniques et les allégations de fraude électorale au fil du temps, le Kenya a toujours organisé des élections compétitives et s’est fait l’ardent défenseur du respect des normes démocratiques dans la région.
L’évolution démocratique du Kenya est due, en grande partie, à l’indépendance croissante du pouvoir judiciaire, qui s’est imposé comme un contrôle essentiel au pouvoir exécutif. On l’a vu dans le rejet des résultats des élections en raison d’irrégularités dans le décompte des voix lors de la présidentielle de 2017, ce qui a nécessité la tenue d’un nouveau scrutin. Le pouvoir judiciaire a également joué un rôle déterminant dans le rejet de la proposition de l’initiative « Building Bridges » (BBI), qui aurait révisé la Constitution afin d’étendre le champ d’action du pouvoir exécutif. Cette initiative a été perçue par de nombreux membres de la société civile comme une menace pour la Constitution progressiste de 2010 et ses dispositions en faveur d’un gouvernement plus inclusif et responsable au Kenya.
Parmi les nombreux candidats, les principaux prétendants sont le vice-président William Ruto et l’éternel challenger Raila Odinga. Alors que Ruto avait été le colistier de Kenyatta lors des deux dernières élections, ce dernier a soutenu Odinga, le principal candidat à l’élection de 2017. Cela a eu pour effet de refondre les alliances politiques et d’injecter une grande imprévisibilité dans le résultat.
Le risque de violence politique qui a accompagné de nombreuses élections présidentielles récentes, notamment celle de 2007 qui a fait environ 1 200 morts et 650 000 déplacés, est au cœur des préoccupations de nombreux Kenyans. Cette violence a parfois pris une tournure ethnique, résultat de la polarisation et de l’attisage des animosités. L’une des questions clés à surveiller en 2022 est donc de savoir quels efforts les principaux candidats, les partis et les groupes de consolidation de la paix au niveau national et local déploient pour atténuer la violence potentielle pendant ce cycle.
Cette vulnérabilité du processus politique kenyan est perpétuée par l’organisation des partis politiques autour de l’ethnicité et de la personnalité plutôt que de l’idéologie, ce qui accentue la perception des enjeux. Elle a également perpétué une apparente stase des principaux candidats présidentiels d’une élection à l’autre, handicapant les perspectives de candidats plus réformistes. Cela dit, ni Ruto ni Odinga ne sont Kikuyu, le groupe ethnique le plus important du Kenya, ce qui laisse présager un changement d’alliances ethniques, quel que soit le vainqueur.
« Cette vulnérabilité du processus politique kényan est perpétuée par l’organisation des partis politiques autour de l’ethnicité et de la personnalité plutôt que de l’idéologie »
La politique kenyane a également été secouée par une augmentation des campagnes de désinformation nationales ces dernières années. Les plus médiatisées de ces campagnes bien organisées – visant les juges qui ont annulé les élections contestées de 2017, la BBI et l’exposé des Pandora Papers – semblent avoir pour but de confondre les citoyens sur ce qui est vrai, et donc de faire taire l’indignation et l’action collective.
Cela a eu un impact sur la confiance du public dans les dirigeants politiques kenyans. En plus de la perception de la domination des élites sur le processus politique et de la corruption, cela a entraîné une baisse de l’enthousiasme du public pour les élections. La Commission indépendante des élections et des frontières du Kenya peine à augmenter le nombre d’inscriptions sur les listes électorales. Le désintérêt est particulièrement élevé chez les jeunes, qui se gardent de pouvoir espérer du changement, quel que soit le candidat vainqueur. Étant donné que 75 % des 48 millions d’habitants du Kenya ont moins de 35 ans, ce fossé générationnel représente un défi important pour tous les candidats.
Au-delà du bénéfice qu’un processus électoral équitable et légitimant au Kenya peut avoir pour servir de modèle pour le renforcement des normes démocratiques dans la région, les élections kenyanes ont également des implications importantes en matière de sécurité régionale. Le Kenya possède l’économie la plus dynamique de la région et a été un rempart de stabilité dans un voisinage confronté à toute une série de défis en matière de sécurité – l’Al Shabaab en Somalie, l’instabilité permanente du Soudan du Sud, la répression politique accrue en Ouganda et en Tanzanie, et la guerre civile dévastatrice en Éthiopie – et dont beaucoup sont liés à la gouvernance. Une élection solide au Kenya sera donc ressentie bien au-delà de ses frontières.
Angola
Élections présidentielles et législatives, août
Le Mouvement populaire pour la libération de l’Angola (MPLA), au pouvoir depuis 1975, exerce un contrôle continu sur la politique angolaise et semble vouloir s’assurer que cela reste le cas après les élections de 2022, lorsque le président et homme fort João Lourenço briguera un second mandat. Le MPLA poursuit systématiquement cet objectif par une série de manœuvres maladroites maximisant son contrôle sur les structures de l’État. Grâce à sa profonde influence sur les tribunaux, le MPLA a contesté la sélection des nouveaux dirigeants de l’opposition, à savoir Costa Júnior de l’UNITA et Abel Chivukuvuku du PRA-JÁ Servir Angola. Cela crée des obstacles bureaucratiques supplémentaires pour l’opposition, qui a promis de présenter une coalition unifiée aux élections de 2022, le Front patriotique uni.
Invoquant la pandémie, le MPLA n’a pas organisé d’élections locales depuis plus de 3 ans, privant l’opposition d’un élan avant les élections présidentielle. (L’opposition contrôle actuellement environ un tiers des sièges à l’Assemblée nationale, malgré des allégations d’irrégularités généralisées au profit du MPLA lors du décompte des voix de 2017). Selon une formulation curieuse, même la composition de la Commission nationale électorale (CNE) est stipulée comme étant proportionnelle à la représentation du parti dans la législature, institutionnalisant ainsi la partialité et perpétuant l’influence du parti au pouvoir.
« Le décompte des voix pour les scrutins de 2022 sera effectué de manière centralisée plutôt qu’au niveau local à l’encontre des les meilleures pratiques électorales »
En imposant des révisions constitutionnelles via une Assemblée nationale dominée par le MPLA, le décompte des voix pour les élections de 2022 sera effectué de manière centralisée plutôt qu’au niveau local, ce qui va à l’encontre des meilleures pratiques électorales, réduisant ainsi la surveillance et la responsabilité de ces décomptes. Les dirigeants de la société civile craignent également que M. Lourenço n’utilise les révisions constitutionnelles pour justifier la remise à zéro du compteur de la limite des mandats.
Si le contrôle du MPLA sur l’architecture institutionnelle peut réussir à maintenir sa mainmise sur la politique angolaise, ce n’est pas une stratégie durable pour le pays en général. L’Angola a connu six années de contraction économique malgré son abondance de ressources naturelles. Le pays a une dette extérieure de 40 milliards de dollars (le PIB annuel s’élevant à 63 milliards de dollars), dont la moitié envers la Chine. Les prix des denrées alimentaires et des autres produits de base ont augmenté. La perception de la corruption reste l’une des plus élevées au monde. La combinaison de frustrations politiques et économiques a conduit à une série de manifestations antigouvernementales à Luanda, qui ont été réprimées par les forces de sécurité angolaises à l’aide de balles réelles.
En bref, ce qui pourrait être l’une des élections les plus importantes du continent – signalant un engagement en faveur d’une véritable réforme, d’une participation politique plus inclusive et du respect de l’État de droit – risque de n’être qu’une formalité.
Tchad
Élections présidentielles et législatives, juin-septembre
Les élections hors-cycle de 2022 au Tchad auraient du être une tentative de faire évoluer le pays vers un gouvernement démocratique dirigé par des civils, après la mort du dirigeant autoritaire de longue date Idriss Déby en avril 2021. Ces élections irrégulières étaient en théorie nécessaires parce que le pouvoir exécutif n’a pas été transféré au président du Parlement après la mort de Déby, comme le prévoit la Constitution. Au contraire, un conseil militaire composé de 13 généraux a pris le pouvoir, dissout le gouvernement et choisi son fils de 37 ans, Mahamat Déby, comme nouveau dirigeant du pays. Cette succession extraconstitutionnelle et héréditaire du pouvoir s’apparente à un coup d’État, précipitant une négociation avec l’Union africaine aboutissant à un délai de transition de 18 mois censé culminer avec les élections présidentielles de 2022.
Le régime de Déby refuse depuis d’adhérer au calendrier d’une transition de 18 mois auquel il s’était engagé, et comme d’autres putschistes récents en Afrique, la junte ne semble pas pressée à quitter le pouvoir. L’armée a longtemps joué un rôle dans la politique tchadienne, Idriss Déby lui-même ayant pris le pouvoir lors d’un coup d’État 31 ans avant sa mort. Pendant son mandat, le gouvernement tchadien s’est caractérisé par son exclusion politique, des actions répressives à l’encontre des dirigeants politiques et des médias de l’opposition, la corruption et des épisodes répétés d’instabilité impliquant une multitude de groupes rebelles organisant régulièrement des attaques pour renverser le gouvernement.
La junte de Déby a convenu, dans une tentative malhonnête et plusieurs fois retardée d’apaiser les parties prenantes nationales et internationales, un forum de préparation de dialogue à Doha, au Qatar en mars. Si le forum a inclus des dizaines de groupes armés, plusieurs l’ont boycotté en disant que la junte avait choisi une approche trop exclusive. Malgré le retrait de deux groupes armés qui possèdent la capacité réelle de menacer N’Djamena, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT) et le Conseil de commandement militaire pour le salut de la République (CCSMR), l’accord de paix de Doha a été signé en août après des mois de négociations.
Moins de 3 semaines après la signature de l’accord de Doha, la junte a organisé le Dialogue Nationale Inclusif de Sécurité (DNIS). Si le DNIS a réuni une grande partie de la société tchadienne et qu’un dialogue ouvert a été permis, la junte en a contrôlé les paramètres et, par conséquent, le contenu. Des groupes plus critiques de l’opposition l’ont boycotté, le qualifiant d’illégitime et appelant à la résistance civile. À sa conclusion le 8 octobre, le DNIS a prolongé la transition de 24 mois, quelques jours seulement avant la date prévue pour des élections. Le DNIS a aussi avalisé la possibilité que Mahamat Déby se porter candidat à la présidentielle, malgré des engagements passés que les membres de la junte ne pourraient pas s’y présenter.
Les groupes de l’opposition, comme les Transformateurs et Wakit Tame, ont refusé d’accepter le nouveau calendrier de transition de 24 mois imposé par Déby et ont rassemblé le 20 octobre des milliers de personnes à travers le pays pour manifester pacifiquement contre ce prolongement. Les forces de sécurité ont violemment réprimé ces manifestations pourtant pacifiques, tuant au moins 50 personnes et en blessant des centaines d’autres.
En dépit de ses antécédents autoritaires peu glorieux et de ses piètres performances en matière de développement, le Tchad s’est constitué un capital politique international au fil des ans grâce au déploiement de ses forces armées au Sahel et dans le bassin du lac Tchad dans le cadre des efforts régionaux de lutte contre les groupes islamistes militants.
L’inclusion d’une véritable opposition politique dans le processus de transition, l’ouverture d’un espace pour la société civile et les médias, et la mise en place d’une commission électorale indépendante chargée de superviser des élections sans plus de retard seront autant d’indicateurs du sérieux du régime Déby dans sous soutien pour une transition dirigée par les civils.
Somaliland
Élections présidentielles, 13 novembre
Législatives, 31 mai (reportées)
Bien qu’il ne soit officiellement reconnu par aucun État, l’élection présidentielle du Somaliland prévue pour novembre 2022 aurait dû être une étape importante dans la trajectoire démocratique du pays. Au lieu de cela, des disputes politiques ont provoqué son report.
Depuis 1991, le Somaliland organise régulièrement l’élection présidentielle et les élections législatives qui ont donné lieu à des alternances périodiques du pouvoir. Les trois partis ont en effet reconnu l’importance de résoudre leurs différends par la négociation afin de ne pas menacer la précieuse réputation de stabilité du territoire. Les résultats des élections de mai 2021 à la Chambre basse et aux conseils locaux reflètent la compétitivité du système électoral tripartite du Somaliland au cours desquelles le parti de la paix, de l’unité et du développement Kulmiye, au pouvoir, a remporté moins de sièges que l’alliance d’opposition composée du parti national Waddani et du parti de la justice et du bien-être, lors d’une élection serrée.
Le Somaliland a une stipulation limitant l’arène politique à trois partis pour éviter la fragmentation. Les licences des partis sont attribuées tous les 10 ans sur la base d’élections séparées des partis.
Le président du Somaliland, Muse Bihi Abdi, du parti au pouvoir Kulmiye, brigue un second mandat de cinq ans.
Depuis la fin 2021, le président Bihi et les dirigeants des deux partis de l’opposition sont en désaccord grandissant sur l’organisation et l’ordre des élections des partis et de la présidentielle. Au départ, les dates pour la présidentielle et pour le vote pour accorder des licences aux trois partis avaient été fixées à novembre pour la première et décembre pour la deuxième. Mais le Président Bihi essayait aussi de pousser les partis à tenir la présidentielle d’abord, alors que l’opposition voulait le contraire. Des retards chroniques ont en partie causé ce casse-tête de programmation. Cela a aussi entrainé le report des élections à la Upper House of Elders (la Chambre haute des anciens), la Guurti, qui étaient prévues pour mai 2022. Toutefois, ses membres ont été sélectionnés pour la dernière fois au début des années 2000 et ses sièges se transmettent par succession héréditaire.
Les désaccords sur l’enchaînement de ce processus ont déclenché des manifestations à Hargeisa en juin. L’utilisation de balles réelles par la police en réponse aux manifestations a fait au moins 10 blessés parmi les membres des partis d’opposition et les civils. En août, ces tensions ont encore débordé quand les forces de sécurité se sont affrontées à des manifestants qui demandaient, alors même que des rumeurs d’un retard se propageaient, que la présidentielle se tienne en novembre, entrainant la mort de 7 personnes et 100 blessés.
Cependant, le président Bihi restreint la liberté de la presse. Fin juillet, les autorités ont arrêté cinq journalistes de la BBC Media Action et révoqué la licence d’opération de la BBC au Somaliland. Moins de deux mois plus tard, elles ont fermé la maison de presse de la télévision CBA.
Malgré plusieurs tentatives de médiation entre le gouvernement et l’opposition, aucune n’a débouché sur un accord sur la voie à suivre. La Commission électorale nationale a annoncé fin septembre que la présidentielle serait reportée de neuf mois, à juillet 2023, en raison de contraintes techniques et financières. Rapidement, la Guurti a prolongé le mandat du président de deux ans et son propre mandat de cinq ans. Les deux partis de l’opposition ont rejeté ce prolongement et disent ne plus reconnaitre la légitimité du gouvernement.
Si le Somaliland devait organiser trois scrutins cette année, il n’en a jusqu’à présent tenu aucun. Comme le calendrier électoral demeure ambigu, le Somaliland fait face à des niveaux jamais vus d’incertitude dans ce qui avait été jusqu’alors une histoire nationale admirable de compromis et de stabilité.
Joseph Siegle est directeur de la recherche et Candace Cook est assistante de recherche au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.
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